Territoire d’Eveil a choisi d’offrir un espace d’expression en lançant un appel à collaborations.
Anne-Françoise Dereix, psychologue clinicienne, formatrice à l’association COLLINE ACEPP Hauts-de-France écrit.
Souriceau et petit lion – Territoires d’éveil – – N°18 – Juin 2020
Petit Lion veut partir loin dans son train, il prend sa « testation » et il va s’asseoir. C’est moi le conducteur. Il va derrière. « Tu as pris ton masque petit lion ? » Crotte de bique, on sait pas où il est le masque, on « serche » partout, partout, il est « cassé » (caché) : c’est souriceau le plus fort, il va le trouver et tout sera bien ».
À mi-chemin entre vécu et imaginaire, conte et réalité, ce petit garçon de trois ans prend la maîtrise du monde dans lequel il vit avec l’aide du conte dont il raffole en ce moment : le souriceau, tout petit, bien plus fort que le soleil, la lune, le vent, le taureau… Et sans doute encore plus fort que tous les covid du monde ! Ce petit garçon a l’immense privilège de vivre le confinement dans une maison avec un grand jardin, entouré d’adultes attentifs malgré stress et inquiétudes mais avec bon nombre de livres, de contes, de chants à disposition… L’inquiétante étrangeté du quotidien ne lui échappe pas. Et parfois, au détour d’un évènement apparemment dérisoire, des pleurs de désespoir le submergent.
Oui nous sommes tous actuellement plus anxieux, plus dépressifs, vite découragés de vivre face à l’incertitude, dans la peur du lendemain qui ne chantera pas forcément… Nul ne peut feindre de ne pas voir les inégalités qui explosent, les décès, les hospitalisations, les faillites, les malheurs, les bouleversements… Les tout-petits, déjà aux prises avec le chaos intérieur qui accompagne leur éveil au monde, se retrouvent dans un chaos extérieur affolant les adultes autour d’eux.
Prendre le temps d’ouvrir les vannes de la peur qui stérilise, d’ôter les chaînes de l’inventivité, de laisser advenir la fantaisie et l’imagination dont nous avons tant besoin pour sortir du bourbier et inventer le monde de demain…
Les propos de Sophie Marinopoulos et son expression de malnutrition culturelle chez les tout-petits me reviennent avec acuité en ce moment. L’art et la culture permettent d’accueillir l’inconnu ensemble, en partage.
Il est urgent de faire revenir au sein des lieux d’accueil de la petite enfance et du soutien à la parentalité, les intervenants artistiques, conteurs, chanteurs, lecteurs, danseurs, plasticiens, peintres. Par leurs propositions ils aident à partager les ressentis, à remettre du sens en ce temps de folie, à refuser de se laisser envahir par le mur blessant du réel et à s’envoler vers l’imaginaire.
C’est ce que demande le réseau ACEPP : la réouverture des lieux d’accueil petite enfance ne doit pas se penser et s’imaginer sans les artistes et les animateurs d’éveil culturel, intervenants réguliers dans ces lieux. Et ce, autant pour accompagner les parents et les professionnels que pour le développement des tout-petits, même et surtout pour ceux qui ne maîtrisent pas encore le langage et qui absorbent en eux, tout le malaise des adultes.
Il apparaît évident à tous que l’école et le collège ne pourront pas seuls avec l’aide de cours supplémentaires remotiver et « récupérer » scolairement les élèves décrochés par le confinement et qu’il sera nécessaire de penser l’articulation entre tous les acteurs à la frontière du culturel, du social et de l’éducatif sur un même territoire pour soutenir les enfants, les parents et les professionnels au moment de la reprise. De même, la nécessité de ce partenariat entre tous les acteurs territoriaux concernés par la petite enfance doit être envisagée.
C’est la condition pour qu’ensemble nous exorcisions l’angoisse pour réveiller les capacités de création et d’élan de vie.
◆ Anne-Françoise Dereix
Psychologue clinicienne, formatrice à l’association COLLINE ACEPP Hauts-de-France